le mouton de Dilem

Publié le par Tous ensemble

Le mouton de l’Aïd court toujours

Imaginons, le jour de la fête de l’Aïd, la publication dans la presse française du dessin d’un mouton fuyant à toute vitesse, poursuivi par un homme brandissant un couteau. Dans la bulle, le mouton dit : « Mais pourquoi veulent-ils m’égorger ? Pourtant, je ne suis ni une femme ni un intellectuel ». Le Conseil français du culte musulman (CFCM), Mouloud Aounit, le ban et l’arrière-ban de l’islamisme hexagonal monteraient au créneau pour dénoncer l’ « incitation à la haine raciale » et traîner le caricaturiste devant les tribunaux. L’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) en profiterait pour réactiver, devant l‘ONU, son exigence d’un délit de blasphème. Mais rien de tout cela ne s’est produit. C’était en 1994, une caricature de Dilem publiée dans un quotidien algérien, en Algérie, au plus fort des années de sang qui martyrisèrent ce pays durant dix ans.

L’analyse de cette amusante caricature est faite douze ans plus tard. « La bête parle et fait de l’humour avec les affaires religieuses : c’est ignoble... Il y a plus grave encore : en courant plus vite que l’homme qui veut le trucider, il (le mouton) ridiculise ce paisible musulman sacrifiant et humilie l’ensemble de la communauté musulmane, sinon la totalité des milliards de musulmans morts et vivants. Mais le pire n’est-il pas que ce mouton fuyant de peur devant un musulman qui veut le manger est de toute évidence islamophobe ! » commente Fethi Benslama, le 24 février 2006, lors d’un meeting organisé à la Cartoucherie de Vincennes pour dénoncer « la censure islamiste ».

Le 30 septembre 2005, le quotidien conservateur danois ‘‘Jyllands-Posten’’ avait publié douze caricatures du Prophète Mahomet. Quatre mois plus tard, le lobby international des Frères Musulmans -soutenus notamment par l’Egypte- ose des menaces de mort et, grâce à de faux dessins, déclenche des manifestations au Moyen-Orient, faisant des morts et des blessés… parmi les émeutiers musulmans. Les caricaturistes danois (non musulmans) deviennent officiellement des cibles potentielles pour les intégristes. « Une nouvelle machine a été depuis inventée, celle du « musulman humilié » : une machine infernale, puisque alimentée par une réalité certaine de mépris et des droits bafoués ici et là, tendant à justifier et à armer le mythe identitaire qui veut, au nom du sacré, poursuivre l’éradication de tout écart à la communauté des croyants, et légaliser, par les descendants de la révolution des libertés, l’empêchement de parler, d’écrire, de dessiner » analyse alors Fethi Benslama. Sept mois plus tard, il soutient exactement le contraire : le brûlot du philosophe Robert Redeker  vise à « produire la honte d’être  musulman ». Y aurait-il un Dr Fethi et un Mr Benslama ?  L’un, psychanalyste brillant, décortiquant l’hiver ce que l’autre, le « musulman humilié », profère l’été, comme dans une suggestion hypnotique ?     

Car le psychanalyste du 24 février 2006 n’hésite pas développer une critique hardie à propos de l’affaire des caricatures danoises : « Au nom de l’islam, tout est prétexte non seulement à interdire, à condamner, à excommunier, mais à éradiquer ce qui peut représenter l’« ironie de la communauté », la critique de son mythe (…) Car la censure au nom de l’islam tue, sacrifie, grille au feu de l’Enfer et dévore les insoumis, afin de les soumettre à la religion de la soumission » Et de citer l’écrivain Haydar Haydar, qui, en avril 2000, faisait proférer à l’un de ses personnages, dans son roman « Festin pour les algues marines » (publié à Chypre en 1993) : «Les lois des divinités bédouines, l’enseignement du Coran, c’est de la merde». Déclaré apostat, Haydar fit l’objet d’une condamnation à mort de la part  d ‘ « imam sporadique » ou d’ « un illettré coranique fatwatant » brillamment fustigés par ce même Benslama toujours en février dernier. Qui concluait d’ailleurs : « Après la condamnation pour une fiction de blasphème, à quand  le meurtre pour blasphème inconscient ? »

Eh bien le 19 septembre 2006, la réponse est tombée, déclenchée comme une bombe par un pamphlet virulent paru dans les colonnes du Figaro et intitulé : « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? ». On attend maintenant une mise en pratique de l’exergue du Manifeste des Libertés, «  De même que l’Europe n’est pas la seule affaire des Européens, l’islam n’est pas la chose exclusive des musulmans ». L’idée commence à faire son chemin que les textes dits sacrés appartiennent au patrimoine littéraire de l’humanité. Et qu’en conséquence, il est loisible à tout un chacun de les traiter comme des objets littéraires. Qu’on peut détester ou aimer. Céline, qui haïssait les juifs, écrivit des horreurs antisémites. Aucun fanatique juif ne l’a condamné à mort pour autant.

Mais le 25 octobre 2006, à propos de l’affaire Redeker, Fethi Benslama souligne « Adhérer à la défense sans réserves (de Redeker),  c’est (…) faire apparaître un bloc d’« Occidentaux » outrageant  l’islam, contre un bloc de « Musulmans » le défendant, « un  monde libre » (expression de l’une des pétitions) contre un  monde qui ne désirerait pas la liberté, alors même que des «Musulmans » sont persécutés quotidiennement pour leur désir de libération ».

  On notera la qualification d’ « outrage à l’islam » (définition du blasphème), la reprise de la dangereuse bi-polarisation essentialiste « Occidentaux » contre « Musulmans » (avec des majuscules), la négation de l’existence d’un « monde libre » (référence à la liberté d’expression). Une parfaite illustration du système de non-pensée dans lequel l’islamisme veut emprisonner les esprits : le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux, et l’Islam contre le reste du monde. Dans l’actualité quotidienne comme dans ce texte censé dénoncer cette caricature, l'islam apparaît (la faute à qui ?) comme la religion binaire par excellence où la pratique de la foi se limite à la connaissance du Bien et du Mal, du licite et de l'illicite.

La liste est atrocement longue des personnalités des lettres et des arts, et des « anonymes », tombés au champ d’honneur de la résistance à l’obscurantisme islamiste. Mais entre la défense des caricaturistes danois et le lynchage médiatique de Robert Redeker, on constate qu’il y a quelque chose de pourri dans le domaine de plus en plus menacé de la libre-pensée. Quelque chose qui tend à donner force et raison au titre du brûlot de Redeker : « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? » De plus en plus de non musulmans, d’athées ou d’anti-cléricaux deviennent aujourd’hui objets d’intimidations. Pis, de menaces sur leur vie.  L’objectif est évident : c’est l’autocensure. La soumission spontanée du monde libre « afin de les soumettre à la religion de la soumission»  (Voltaire et Mozart en savent désormais quelque chose). Pour avoir écrit, déclaré et maintenu que  « La religion la plus con, c'est quand même l'islam. Quand on lit le Coran, on est effondré... effondré », Michel Houellebecq n’a échappé à la fatwa qu’en allant se défendre devant le tribunal. A la barre, d’ailleurs, il en rajoute :  "L'islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition". L'écrivain a par ailleurs souligné son mépris pour tous les monothéismes et insisté sur le fait qu’à ses yeux, les textes sacrés des monothéismes sont dès le départ des textes de haine et non des appels à l'amour, à la paix et à la tolérance. L’actualité de ces trente dernières années n’en finit pas de lui donner raison. Sur le plan purement littéraire, Michel Houellebecq voit dans la Bible des passages "très bons" et d'autres "nuls à chier", le Coran lui apparaît "globalement médiocre". Et c’est parfaitement son droit, littérairement parlant.

L'écrivain a indiqué qu'il estime effectivement que l'islam est une "religion stupide" mais que son mépris ne s'étend pas aux musulmans. Je soutiens personnellement que, contrairement à ce que pense le pape, il est imbécile de vouloir faire entendre raison à un croyant. Mais il est criminel de vouloir imposer sa foi à un athée, ou à un croyant d’une autre religion. Pour un athée, le sacré n’existe pas. L’incroyant se fiche du texte mais respecte les personnes. Contrairement à ces croyants fascisants qui adorent le texte et trucident les gens au nom de l’amour divin. On n’a encore jamais vu une armée d’athées assassinant des croyants d’une quelconque religion. Mais le contraire est légion, si l’on ose dire. Les religions sont donc bien des facteurs de divisions, de haine et d’intolérance. Sauf pour celles et ceux qui les gardent pour eux. Sans obéir ni au pape, ni aux ayatollahs, ni aux mollahs, ni aux fourvoyeurs de conscience.

Le dangereux Houellebecq a reçu l’absolution de la République laïque. La Procureure de la République Béatrice Angelelli a en effet estimé que ses provocations concernaient que l'islam et pas les musulmans. Elle a mis en garde contre le glissement sémantique opéré par l'accusation. A quoi elle a ajouté que si Michel Houellebecq est effectivement un provocateur, il n'en appelle pas pour autant à la haine. La relaxe a été prononcée le 22 octobre 2002 et constitue une grande victoire pour la laïcité et la liberté d'expression. Le tribunal de Paris a jugé que ses propos très critiques à l'égard de l'islam ne constituaient pas une insulte envers les musulmans, un groupe de croyants n'étant pas assimilable à la religion à laquelle ils croient.

“L’appel au meurtre contre Rushdie a ouvert une jurisprudence par laquelle il est devenu loisible à n’importe quel imam spontané de prononcer une sentence de mort à l’encontre de n’importe quel intellectuel supposé musulman renégat, n’importe où dans le monde ”, faisait remarquer, à juste titre, le Fethi Benslama de l’hiver dernier.  Or, ces derniers mois, le champ de l’anathème s’élargit.  Non seulement les contestataires d’ « origine musulmane » voient se resserrer autour d’eux la condamnation pour apostasie ou blasphème. Mais encore il est interdit aux non musulmans de parler de l’islam, de ses pompes et de ses oeuvres. L’entrée des mosquées est bien interdite aux infidèles ? Eh bien désormais, l’accès au discours sur l’islam ou le Coran devient la propriété exclusive des « musulmans » labellisés, ou prétendus tels. On assiste en effet à l’exigence d’un brevet de légitimité. Il faut désormais être estampillé « de culture musulmane » pour être autorisé à critiquer, déblatérer, caricaturer, provoquer, le Coran et son Prophète. Houellebecq a osé passer outre et il a fait triompher la liberté d’expression. Mais depuis, la situation s’est bien dégradée. Plus grave encore : la fatwa est devenue un véritable contrat maffieux qui s’applique désormais à tout non musulman !

Le nouveau millénaire marque un tournant dans la fascisation de l’islamisme mondialisé. Cela ressemble beaucoup à la théorie de l’ « espace vital », de sinistre mémoire. Comme si l’islam se refusait à admettre sa situation de religion à la fois bousculée par le monde contemporain, et de plus en plus minoritaire. Car les preuves de volonté hégémonique s’accumulent. En 2 000, un groupe de terroristes islamistes assassine 2000 chrétiens qui protestaient contre l’application de la charia dans la ville de Kaduna au Nigéria. La même année, l'évêque des Moluques (Indonésie) dénonce le groupe terroriste indonésien Laskar Jihad pour son rôle dans les massacres et conversions forcées dans l'archipel, notamment dans l'île de Keswui. Une chrétienne des Moluques, Christina Sagat, est contrainte à la conversion et excisée de force. En Iran, en 2003, la journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi est torturée et assassinée en prison, en raison de ses activités professionnelles.

En Europe, le 2 novembre 2004, le cinéaste néerlandais Theo Van Gogh est égorgé, à Amsterdam, par un islamiste marocain. Puni pour avoir réalisé un film, ‘‘Submission’’, où il montrait le dos d’une femme tatoué de versets du Coran pour dénoncer la soumission des femmes dans l’islam. Dans la France de 1994 déjà, le mannequin Claudia Schiffer avait scandalisé les organisations islamistes en défilant avec une robe imprimée de fragments de versets coraniques. La robe fut brûlée par la maison Chanel, ses photos censurées. Théo Van Gogh, lui, voulait dénoncer le danger que constitue l’islam radical pour l’Europe moderne et démocrate. Son assassin a déposé sur le cadavre une liste de personnes « condamnées », notamment la scénariste du film, Ayaan Hirsi Ali, députée hollandaise d’origine somalienne, aujourd’hui réfugiée aux Etats-Unis.

Laissons donc au Fethi Benslama de février 2006 les mots de la fin : « Dans les périodes les plus sombres de leur histoire, quand le colonialisme faisait régner son ordre de mépris et de négation des droits les plus élémentaires, les musulmans n’ont jamais considéré que leur Dieu était « humiliable », ni que les figures idéales de leur culture pouvaient être facilement diffamées : leur lutte pour leur dignité faisait simplement appel à légalité des droits, et non à la fabrique de la vengeance aveugle de l’«humiliation » - une notion inventée en Europe, qui appartient au lexique ecclésiastique de l’abaissement, de la honte, de la mortification, bref, à l’imaginaire de l’orgueil. Quand on tue des civils en masse, quand on égorge des hommes devant la télévision au nom de l’islam, n’est-ce pas là l’atteinte la plus grave contre laquelle les musulmans devraient protester ? Combien l’ont-ils fait ? » Tout est dit. Les écrits sont aussi têtus que les moutons. C’est sans doute cruel. Mais c’est la loi du genre. Encore faut-il maintenant, poser enfin les bonnes questions. Et tenter, ensemble, d’y répondre.

 
Hélène Michelini

 

 

Publié dans Tribune libre

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